C’est « le » chiffre qui fait rêver tous ses partisans : l’énergie solaire reçue par notre bonne vieille terre en une année vaut, en chiffres ronds, 10.000 fois la quantité totale d’énergie consommée par les hommes (il s’agit ici de ce qui est reçu par le sommet de l’atmosphère, sachant que 30% environ est réfléchi par les nuages et la surface de la Terre, et donc que ce qui arrive à la surface de la planète ne vaut « que » 7000 fois ce que les hommes consomment). Dit encore autrement, en une heure notre planète reçoit à peu près ce que les hommes vont consommer en charbon, pétrole, gaz, bois, uranium, chutes d’eau et bricoles diverses en 365 jours.
Un simple calcul dérivé de cette observation ne peut alors que laisser rêveur : capter 0,01% de cette énergie nous permettrait de nous passer de tout ce qui est fossile ou fissile : c’est dire que cela fait un certain temps déjà que l’homme caresse l’idée d’exploiter cette énergie de manière significative. Mais lorsque l’on regarde ce que représente le solaire dans les utilisations « modernes » (car les utilisations très anciennes sont de faire pousser les plantes pour se nourrir, de profiter du bois, d’éviter de chauffer parce que le soleil s’en charge pour nous en été (!) et même en hiver, etc) dans l’énergie consommée par les hommes, les chiffres sont totalement ridicules.
En 2011, le solaire « tel que nous le comptons » (solaire thermique, pour produire de l’eau chaude, ou photovoltaïque, pour produire de l’électricité) a représenté 0,1% de l’énergie consommée par les hommes, et dans ce total c’est le thermique (production d’eau chaude) qui se taille la part du lion. Est-ce à dire que nous ne pourrons jamais en tirer mieux ?
En fait, dans le solaire, nous ne comptons, avec les chauffe-eau (ou le chauffage solaire) et la production d’électricité, qu’une toute petite fraction de l’énergie solaire que nous utilisons au total, à travers des usages bien plus anciens, que sont l’agriculture et le bûcheronnage. En effet la photosynthèse, dont l’homme exploite à son profit plusieurs dizaines de % via les cultures alimentaires ou la récolte du bois, utilise environ 0,5% de l’énergie solaire reçue par notre planète, soit 0,5% × 7000 = 35 fois l’énergie consommée par les hommes. Avec nos cultures et nos forêts exploitées, nous disposons donc en direct de l’effet de 10 à 20 fois l’énergie que nous utilisons avec les combustibles fossiles et le reste !
Les calculs qui suivent, destinés à ce que chacun puisse se forger son propre jugement, sont donc limités aux applications « modernes » de l’énergie solaire. Et, même si cela reste un exercice que d’aucuns pourront trouver caricatural, je vous propose de calculer les surfaces à mobiliser pour satisfaire en totalité tel ou tel type de production. Nous ne le ferons jamais, mais cela fixe les idées !
Pourrait-on produire l’électricité en France uniquement avec des panneaux solaires photovoltaïques ?
La production française d’électricité a été de l’ordre de 520 TW.h en 2009 (1 TW.h = 1 milliard de kW.h). Bien que cela ne soit pas le propos ici, la production française était de 550 TWh en 2002,et l’évolution globale résulte d’une baisse de la disponibilité du parc nucléaire, que l’augmentation de la puissance installée en éolien (et en photovoltaïque, que l’on verra plus bas) est bien incapable de compenser.
Sur la majeure partie de l’Europe, la production annuelle d’un panneau solaire photovoltaïque est de l’ordre de 100 kWh/m² (cf. ci-dessous).
Potentiel de production d’énergie solaire photovoltaïque par zones.
On remarque que :
- la majorité des pays développés sont dans des zones autant ou mieux insolées que la France, objet du calcul ci-dessous (l’Europe du Nord : Pays-Bas, Grande Bretagne, Nord de l’Allemagne etc, n’est pas très en-dessous de 100 kWh/m².an ; seuls les pays nordiques ont un déficit fort),
- les pays en développement sont tous mieux insolés que la France.
Source : Commissariat Général du Plan.
Cette valeur est en fait le produit du rendement du panneau (qui est compris entre 5% et 10%) par l’insolation annuelle moyenne, sachant qu’en France, par exemple, cette dernière oscille entre 1200 et 1700 kWh/m².an (cf. ci-dessous).
Energie solaire reçue par m² et par an en France.
Pour obtenir la production annuelle d’un panneau il faut en gros diviser par 10.
Source : ADEME
Si nous ne regardons que les productions brutes, il faudrait donc couvrir de panneaux solaires une surface de 5.000.000.000 m2 environ pour assurer la production française d’électricité, soit 5.000 km² environ. C’est certes considérable en valeur absolue, mais… cela fait 1% de la surface du territoire, soit moins que ce qui est occupé par les bâtiments en France.
De là vient une considération qui est souvent faite : en nous contentant de couvrir la moitié de la surface de toits existante de panneaux solaires, nous pourrions disposer d’une production brute du même ordre de grandeur que notre consommation électrique annuelle, c’est-à-dire de l’ordre de 20 à 40% de notre production d’énergie totale, selon la manière de compter l’électricité (voir explications ici). Voilà qui semble alléchant ! Mais, hélas, le monde n’est pas toujours aussi parfait qu’il devrait l’être:
- les valeurs de production mentionnées ci-dessus ne valent que pour des panneaux orientés au sud, perpendiculairement à l’incidence moyenne du rayonnement, or l’essentiel des toits en pente ne sont pas orientés au sud : pour une construction à 2 pentes, quand un pan de toit est au sud, l’autre est au Nord (donc 50% du toit est inutilisable) ; nombre de constructions d’habitation d’après-guerre sont orientées est-ouest (l’orientation du bâtiment n’a été que très rarement prise en compte depuis qu’il existe des contraintes de place, ce qui a concerné l’essentiel de la construction d’après-guerre, et le chauffage central a rendu encore plus marginale la préoccupation d’orientation du bâtiment), ce qui rend l’implantation de panneaux bien orientés malcommode voire impossible,
- même sur les toits en pente, il y a des surfaces indisponibles (cheminées, bouches d’aération, antennes, etc),
- une partie des toits plats sont déjà occupés par « autre chose » (terrasses d’agrément, plantées ou non, notamment),
- une partie des toits est en permanence à l’ombre (portion de bâtiment en permanence à l’ombre d’une autre portion).
Cela étant, ces obstacles ne signifient pas que nous ne pouvons pas équiper une fraction significative des toits, ou bien installer des panneaux en plein champ, comme cela est actuellement le cas (mais en pareil cas cela « stérilise » des terres cultivables pour un autre usage, ce qui peut se discuter). Pour la suite du débat, admettons que nous souhaitions avoir une très large fraction de l’électricité qui provienne du photovoltaïque. Se pose alors la question du stockage.
En effet, tant que la puissance installée n’est pas trop importante, on peut imaginer que la production électrique photovoltaïque, qui a lieu uniquement le jour par définition (!), puisqu’il est un peu inhabituel d’avoir du soleil la nuit, vienne augmenter la production électrique précisément quand la consommation augmente, pendant la journée.
En orange, puissance appelée sur le réseau français le Mercredi 10 février 2010.
(les autres courbes, en bleu, représentent les prévisions de la veille et du matin même).
Il y a un minimum à 70 GW vers 4 h du matin, puis un premier maximum à 85 GW de 9h30 à 12 h, une descente à 80 GW à 17 h avant une remontée à 90 GW à 19 h, au maximum de la journée. L’amplitude maximale de la journée est donc de 20 GW.
Ce profil est représentatif d’un jour de semaine « ordinaire » en hiver.
Source : RTE.
Puissance appelée sur le réseau français le Dimanche 7 février 2010.
(les autres courbes, en bleu, représentent les prévisions de la veille et du matin même).
Les extrêmes sont respectivement un minimum de 56 GW vers 5 h du matin, un premier maximum de 68 GW à 12h45, un minimum de 59 GW à 16h30 avant une remontée vers 70 GW à 19h30. L’amplitude maximale de la journée est donc de 15 GW.
Ce profil est représentatif d’un Dimanche « ordinaire » en hiver, et le Samedi présente un profil voisin.
Source : RTE.
Les graphiques ci-dessus montrent que, en hiver, la journée engendre un appel de puissance de 10 à 20 GW supplémentaires par rapport au creux nocturne. Quelques GW de puissance installée (soit quelques % de la puissance totale) seraient donc utilisables sans stockage, mais au-delà il faudrait alors stocker une part significative de l’électricité obtenue (même en hiver, car l’ensoleillement maximal se produit à un moment où la consommation baisse). Ce besoin serait aussi renforcé par le fait qu’il y a plus de soleil l’été, alors que l’on consomme plus d’électricité l’hiver.
Cette nécessité de stockage ne simplifie pas nos affaires, car l’électricité se stocke très mal. A titre d’exemple voyons ce que donne un stockage sous forme d’hydrogène, cet hydrogène étant obtenu par électrolyse avec l’électricité obtenue du panneau solaire :
Opération | Rendement approximatif* |
---|---|
Electrolyse pour produire de l'hydrogène | 80% |
Stockage de l'hydrogène par compression à 700 bars | 80% |
Liquéfaction de l'hydrogène | 50% |
Cogénération pile à combustible | ? |
Production d'électricité à partir d'hydrogène dans une pile à combustible | 50% |
Fabrication de la pile, du réservoir, de la tuyauterie... | ? |
Rendement global d'une filière [panneau → electrolyse → compression → pile à combustible] | < 30% |
* Un rendement approximatif de 80% signifie que l’on consomme 20% de l’énergie pour effectuer une opération.
Si nous prenons l’hypothèse, pour un déploiement massif du photovoltaïque, que les 2/3 de ce qui est produit doivent être stockés (ne serait-ce que du jour vers la nuit), le dernier tiers étant consommé au moment de sa production, pour une production d’électricité totalement photovoltaïque ce serait plutôt 2% de la France (en gros 0,8%*1/3 + 3*0,8%*2/3) qu’il faudrait couvrir de panneaux, si l’on tient compte des pertes associées.
Si le stockage se fait avec une batterie au plomb, ce qui est la manière actuelle de faire, le calcul est un peu différent : le rendement du stockage est de 70% en gros, mais il faut aussi déduire l’énergie de fabrication de la batterie, tout comme il faut tenir compte de l’énergie de fabrication du panneau. Cette dernière représente aujourd’hui quelques années de production dudit panneau (les ACV varient entre 1 et 4…), auquel il faut rajouter quelques années de fonctionnement pour « rembourser » l’énergie de fabrication de la batterie, ou des batteries qui se succéderont (car la durée de vie d’une batterie au plomb va de 5 à 20 ans !).
Sachant que le panneau a une durée de vie de 25 ans environ (avec, ce qui complique encore le calcul, un rendement réel qui décroit légèrement au cours du temps), on peut retenir comme ordre de grandeur qu’une petite moitié du temps de fonctionnement servirait à rembourser l’investissement énergétique de départ si l’on stocke avec des batteries. Si nous stockons sur pile, nous pouvons forfaitairement prendre les mêmes déductions pour la fabrication de la pile elle-même, du réservoir d’hydrogène, de l’électrolyseur, etc.
De ce fait, selon le moyen de stockage utilisé nous aboutissons aux ordres de grandeur suivants :
- avec une pile à combustible : 2×(0,8%×1/3 + 3×0,8%×2/3) = 4% du territoire,
- avec des batteries : 2×(0,8%×1/3 + (0,8%×2/3)/0,7) = 2% du territoire,
Dit autrement, si nous voulons aussi produire l’énergie nécessaire à la fabrication des panneaux et des batteries, c’est entre 2% et 4% de la surface du pays qu’il faut couvrir. Si nous ne sommes plus en mesure, avec un tel pourcentage, d’envisager la production de la totalité de l’électricité française, ces ordres de grandeur n’interdisent pas encore de penser qu’il devrait être possible de tirer du photovoltaïque beaucoup plus qu’aujourd’hui, sans compter qu’il y aura probablement encore des sauts technologiques dans la fabrication des panneaux.
Par exemple, avec les technologies dites des couches minces (qui consiste à déposer de très minces couches de semi-conducteur sur un substrat en plastique), la durée de production du panneau qui compense l’énergie dépensée pour sa fabrication pourrait être ramenée à moins de 2 ans, voire à moins d’un an (car l’essentiel de l’énergie de fabrication du panneau est utilisée pour produire le silicium cristallin qui sert aux panneaux).
Mais, pour l’heure, c’est l’intermittence – et donc le besoin de stockage associé – qui constitue encore le point faible. Une des manières souvent présentée de s’affranchir de ce besoin de stockage est de faire du photovoltaïque « connecté au réseau » : lorsqu’il y a du soleil le panneau injecte son électricité sur le réseau et lorsqu’il n’y en a pas il n’en injecte pas et alors ce sont d’autres moyens qui prennent le relais. Tant que la puissance injectée est faible, ce système fonctionne très bien, et c’est le cas actuellement.
Puissance installée en France en solaire photovoltaïque, en MW.
La puissance électrique totale en France est un peu supérieure à 110 GW, soit 1000 fois plus que ce qui est installé en solaire photovoltaïque.
Le solaire photovoltaïque étant marginal dans la puissance installée, le problème de l’intermittence de sa production l’est tout autant, mais cela cesserait d’être vrai avec une puissance installée plus élevée.
Source : RTE, bilan électrique français 2009
Le photovoltaïque connecté au réseau est donc sans inconvénient tant qu’il est marginal dans la production, mais si le but du jeu est qu’il arrête de l’être, alors il faudra impérativement gérer cette intermittence, ce qui aura un coût en plus du coût direct de la production. Et si le critère économique devient important, alors, pour de s’affranchir des combustibles fossiles ou des émissions de gaz à effet de serre, il vaut clairement mieux utiliser du solaire à concentration, des barrages ou des centrales nucléaires (voir ci-dessous).
Si les systèmes solaires sont envisagés essentiellement pour de la consommation locale et s’affranchir du réseau, il faut impérativement stocker : avec les technologies actuellement disponibles (les batteries plomb-acide), il faudrait mettre dans chaque maison quelques tonnes de batteries (voir calculs sur cette page), et les ressources nécessaires seraient assez considérables. Un déploiement significatif de panneaux photovoltaïques reste donc difficile à envisager aujourd’hui sans un perfectionnement important des dispositifs de stockage, outre que les puissances fournies par la décharge d’une batterie sont beaucoup plus adaptées aux applications domestiques qu’industrielles (en France l’industrie consomme un gros tiers de l’électricité produite). Et dans le domaine du stockage, malheureusement, les progrès semblent moins en vue que pour ce qui concerne les panneaux eux-mêmes.
Enfin un dernier élément est essentiel dans le raisonnement : dès que l’on décentralise la production électrique pour « échapper au réseau centralisé », on augmente considérablement la puissance installée. En effet, dans un réseau centralisé, il y a beau avoir une pointe journalière et des périodes plus en creux, la variation quotidienne est de 30% à 40% « seulement » pour la puissance appelée. Or si chacun a « chez soi » le moyen de produire sa propre électricité, alors la variation locale sera considérablement supérieure. En effet, chaque dispositif de production domestique devra être capable de répondre à la pointe de consommation du foyer considéré, et la somme de ces puissances de pointe représente bien plus que la puissance de pointe disponible sur un réseau centralisé, qui tire avantage du fait que chacun ne consomme pas au maximum exactement au même moment.
Il y a en France 30 millions de foyers environ. Si chacun disposait d’une installation domestique de 6 kW de puissance de pointe (ce qui est peu : cela correspond à un abonnement 6 kVA d’EDF), la puissance installée totale serait de 180 GW rien que pour les logements, sans compter ce qui serait nécessaire au tertiaire et évidemment à l’industrie. Sans trop exagérer, on peut donc dire qu’une production totalement décentralisée, sans réseau, nécessiterait de mettre en place entre 3 et 5 fois la puissance installée que nous avons sur un réseau centralisé. En plus, comme le solaire a un facteur de charge 7 à 8 fois moins important que celui du nucléaire, il faudrait en fait, à consommation identique, une puissance installée 20 à 30 fois supérieure si chacun avait « son » panneau….
Le solaire photovoltaïque est-il une bonne manière de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre ?
La réponse – étonnante – est que cela dépend très nettement de la manière de produire l’électricité utilisée pour faire les panneaux solaires…
Source d'énergie | Emissions de CO2 (g/ kWh électrique) |
---|---|
Charbon | 800 à 1050 suivant technologie |
Cycle combiné à gaz | 430 |
Nuclear | 6 |
Hydraulique | 4 |
Biomasse | 1500 sans replantation |
Photovoltaïque | 60 à 150 |
Eolien | 3 à 22 |
Emissions de CO2 en g/ kWh électrique (analyse du cycle de vie).
Source : EDF, cité dans La Jaune et La Rouge de Mai 2000
Si le photovoltaïque se place nettement mieux que l’électricité produite au charbon ou au gaz, il reste nettement plus émetteur que les deux modes de production d’électricité « sans CO2 » que sont l’hydraulique et le nucléaire (en 2010 la production éolienne mondiale a été 10 fois inférieure à la production hydroélectrique). En France, par exemple, remplacer des centrales nucléaires par du solaire photovoltaïque – outre que c’est un peu une vue de l’esprit compte tenu des productions respectives de l’un et de l’autre – ne ferait rien gagner au niveau des émissions de gaz à effet de serre, au contraire.
Les émissions de gaz à effet de serre de l’énergie solaire photovoltaïque étant cependant inférieures à ce qu’elles sont pour les combustibles fossiles, il est par contre parfaitement recevable de l’utiliser en priorité pour « sortir du fossile », mais à ce jeu là il reste considérablement plus onéreux que le nucléaire ou, bien sûr, les économies d’énergie.
Est-ce rentable ?
Le prix du kWh produit (de 15 à 40 centimes d’Euros le kWh, sans tenir compte du stockage) va de 1 à 4 fois le prix du courant résidentiel, selon les hypothèses de calcul, la zone concernée, et bien sûr le tarif résidentiel appliqué (qui varie d’un facteur 2 en Europe par exemple). Cela peut sembler peu ou beaucoup, selon les points de vue, qui font intervenir les arguments suivants :
- les modes de production à base de combustibles fossiles (centrales à charbon, pétrole ou gaz) ne prennent aucune externalité en compte (coûts de démantèlement, de dépollution de sols, et surtout d’impact du changement climatique, etc),
- il y a une baisse des coûts depuis longtemps pour laquelle la grande question est de savoir si elle va se prolonger ou pas. En effet, au début, toute technologie voit ses coûts fortement baisser parce que les progrès sont rapides. Après, cela dépend… car le solaire, comme toutes les technologies, a bénéficié du considérable gain de productivité du travail permis par l’explosion de la consommation des combustibles fossiles. Dit autrement, c’est un recours sans cesse croissant à l’énergie « sale » qui a permis de diminuer les coûts sur l’énergie « propre ». Question idiote : la baisse des coûts se prolongerait-elle dans un monde qui utiliserait de moins en moins de pétrole, de gaz et de charbon ?
Ce « calcul de coin de table » met finalement en évidence une conclusion contrastée :
- les ordres de grandeur sont en apparence très séduisants (pensez donc, juste les toits à couvrir !),
- mais les ordres de grandeur économiques – hélas logiques compte tenu de la physique sous-jacente : il faudra toujours plus de travail humain pour extraire un kWh électrique du flux solaire que pour extraire un kWh électrique du gaz ou du charbon, tant qu’il restera des quantités non ridicules de ces combustibles – rendent peu probable une contribution significative du solaire photovoltaïque à moyen terme (disons dans les 20 à 40 ans qui viennent).
Ne peut-on faire de l’électricité qu’avec des panneaux photovoltaïques ?
Il y a une autre manière de faire de l’électricité avec de l’énergie solaire : il s’agit du solaire dit à concentration. Ce genre de dispositif se rapproche beaucoup de la manière « classique » de produire de l’électricité, à savoir commencer par produire de la vapeur qui servira ensuite à faire tourner une turbine (c’est exactement comme cela que fonctionnent les centrales à charbon, à gaz, à fioul, ou nucléaire, c’est à dire 85% de la production électrique mondiale, les 15% restants étant de l’hydroélectricité pour l’essentiel et quelques bricoles diverses pour le reste). Deux techniques existent pour produire cette vapeur avec du soleil :
- on peut chauffer très fort un liquide en concentrant le rayonnement solaire dessus avec des miroirs paraboliques, le liquide chauffé transmettant ensuite sa chaleur à un réservoir « de masse » qui sert de source chaude pour produire de la vapeur.
Schéma de principe d’une centrale solaire à concentration avec réflecteurs parabo-cylindriques.
Le réflecteur concentre le rayonnement solaire sur un tube rempli de liquide, lequel va chauffer, via un échangeur, un gros réservoir (qui ne figure pas sur le schéma). Ce réservoir, qui sert de source chaude, est traversé par un circuit secondaire rempli d’eau qui engendre de la vapeur qui fait tourner une turbine.
Le réservoir est assez chaud, et suffisamment bien isolé, pour que l’installation puisse continuer à produire de l’électricité la nuit.
- on peut construire une grande tour sur laquelle les rayons du soleil sont envoyés grâce à un parterre de miroirs orientables. Un fluide passe dans la tour et est chauffé à de hautes températures après quoi le principe est le même que ci-dessus,
Schéma de principe d’une centrale solaire à concentration avec tour et champ de miroirs plans qui suivent le soleil.
Toute la chaleur est concentrée en haut de la tour où passe le circuit primaire qui alimente le réservoir qui sert de source chaude.
- on peut construire une tour peinte en noir, de plusieurs centaines de mètres de haut, que le rayonnement solaire va chauffer de manière importante. Cela crée un courant ascendant (l’air qui entre au niveau du sol chauffe puis monte), qui entretient une convection permanente, et donc un puissant courant d’air permanent, qui fait tourner des hélices couplées à des alternateurs (les Australiens ont construit un tel prototype).
En théorie, ce genre de dispositif (le solaire à concentration) présente de nombreux avantages sur le solaire photovoltaïque :
- les endroits favorables (déserts et zones limitrophes) sont généralement exempts d’occupation humaine, donc « cela ne gêne personne » (pas de gêne architecturale, pas d’occupation de surfaces cultivables, etc)
- la surface à occuper pour une alimentation électrique significative est du même ordre que pour le photovoltaïque : on peut espérer récupérer, sous forme d’électricité, 10% de l’énergie solaire incidente. Si la centrale est au Sud de l’Espagne ou au Maghreb (un peu moins de 2000 kWh d’énergie solaire incidente par m² et par an), cela fait environ 200 kWh électriques par m² et par an, et donc pour produire l’électricité consommée en France (400 milliards de kWh environ) il faudrait environ 2 milliards de m², soit 2000 km².
Ajoutez quelque chose pour les pertes de transport (pas énormes, voir plus bas), passez à l’échelle européenne (3200 TWh consommés en 2011), et cela donne 15000 à 20000 km² à mobiliser. C’est beaucoup (un rectangle de 100 km x 200 km !) ou peu (2% de la superficie de l’Algérie ou de la Libye, en première approximation) ; cela dépend des points de vue….
- la chaleur se stocke bien plus facilement que l’électricité, et le solaire à concentration gère donc l’intermittence jour-nuit en stockant de la chaleur, ce qui rend possible d’avoir une production électrique nocturne. Une optimisation économique tant qu’il reste du gaz et pas trop de taxe carbone peut être d’avoir un petit appoint fossile (gaz) qui sert la nuit ou l’hiver, pour éviter d’avoir un investissement de départ trop élevé. En effet, pour avoir 100% en renouvelable, il faut un champ de miroirs et un stockage de chaleur plus importants, mais l’ensemble sera alors surdimensionné l’été et augmentera le coût total de production.
- une centrale solaire à concentration est un dispositif centralisé de production, et de ce fait on optimise la puissance installée par habitant (voir l’exemple contraire – le photovoltaïque – plus haut), et par ailleurs comme cela produit de l’électricité en haute tension, on peut la transporter sur de grandes distances sans pertes notables (pour traverser la France sur le réseau 400 kV, il n’y a que 2% de pertes)
- ce genre de dispositif peut aussi s’utiliser pour faire de la dessalinisation d’eau, ce qui sera utile au vu des pays dans lesquels ce genre de dispositif peut s’implanter
Question : pourquoi ce genre de projet ne s’est-il pas développé plus vite ?
La réponse est assez simple : ce procédé demande plus de travail humain pour extraire un kWh de l’environnement que le charbon ou le gaz, et le coût de production est aujourd’hui de l’ordre de 12 à 15 centimes par kWh, alors que le kWh sorti d’une centrale à charbon coûte de 4 à 5 centimes sans taxe carbone (mais le solaire a concentration est déjà nettement plus compétitif que les 30 à 50 centimes par kWh du photovoltaïque en France !). Avec une taxe carbone à 100 euros la tonne de CO2, le solaire à concentration devient compétitif avec le charbon (mais pas avec le nucléaire).
Le seul inconvénient, pour les pays européens, c’est que le solaire à concentration, ce n’est pas chez nous ! Mais dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée il y a un projet conjoint avec nos voisins qui serait probablement une des manières les plus intelligentes que nous aurions de coopérer avec eux, et un des meilleurs investissements que nous pourrions faire pour notre approvisionnement à 20 ans d’échéance…
Architecture générale du projet Medgrid-DesertTec.
Si chaque site de production représente un investissement de l’ordre du milliard d’euros, et que le réseau de transport de l’électricité en représente quelques dizaines, un tel projet dépasse la centaine de milliards d’euros d’investissement : c’est excellent pour l’activité !
Peut-on faire « autre chose » que de l’électricité avec de l’énergie solaire ?
Il y a une autre manière de se servir du solaire que d’en retirer des électrons : c’est d’utiliser en direct la chaleur de l’astre du jour. Dans ce cas, plutôt que de mettre sur un toit (ou ailleurs) un dispositif pour produire de l’électricité, on peut y mettre un simple capteur de chaleur, permettant de produire de l’eau chaude sanitaire pour la douche, ou de l’eau chaude pour alimenter un chauffage intérieur. Le rendement d’un panneau solaire thermique est 3 fois meilleur que celui d’un panneau photovoltaïque (c’est-à-dire qu’un tel panneau récupère 30% à 40% de l’énergie solaire incidente).
L’ordre de grandeur de ce que l’on peut économiser avec un chauffage solaire dans les bons cas de figure est d’ores et déjà de 50% des consommations afférentes (c’est-à-dire que l’apport solaire représente 50% de ce qui est consommé pour le chauffage et l’eau chaude).
Sachant que la consommation d’énergie liée à ce « confort thermique » est de l’ordre de 30% de la consommation totale d’énergie en France (en incluant habitation et locaux d’activité, ces derniers étant généralement désignés sous le terme « tertiaire », voir ci-dessous), la généralisation du chauffage solaire permettrait un gain de 10 à 15% de notre consommation énergétique (à titre indicatif, les Danois ont produit 1,5% de leur consommation d’énergie finale avec leur éoliennes en 2009). Le recours « massif » au solaire thermique, couplé avec une isolation importante des logements anciens, pourrait permettre de substituer environ 25% de notre consommation énergétique.
Répartition de la consommation d’énergie en France, 1995.
Aujourd’hui l’électricité spécifique (électroménager, produits bruns, alimentation) représente probablement un peu plus, mais les ordres de grandeur sont à peu près les mêmes.
Source : Commissariat Général du Plan.
Il y a donc là une marge de manœuvre réelle pour effectuer des économies d’énergie fossile sans perte significative de confort. En outre le stockage de la chaleur est une voie qui a été assez peu explorée dans nos sociétés modernes (on s’est beaucoup plus intéressé au stockage de l’électricité) et si nous pouvions disposer de dispositifs de stockage saisonniers performants (par exemple en faisant des réservoirs souterrains très bien calorifugés et remplis de saumure, qui stockent la chaleur l’été et la restituent l’hiver), nous pouvons surement obtenir encore plus de cette source.
Et puis un vaste plan pour le solaire thermique et l’isolation serait une excellente affaire pour l’emploi : actuellement 2 millions de personnes achètent une voiture neuve chaque année, valant un peu moins de 15.000 euros en moyenne.
Si s’affranchir des énergies fossiles devenait la première priorité de notre économie, on peut imaginer qu’un demi-million à un million de foyers achètent plutôt chaque année une rénovation complète de leur logement, avec passage au chauffage solaire entre autres choses, de telle sorte que tous les logements soient rénovés en moins de 40 ans (résidences secondaires comprises) en vue de leur faire consommer moins d’énergie de chauffage avec une contribution solaire majeure pour le solde.
Avec des installations unitaires de l’ordre de 15.000 euros, cela créerait une filière industrielle de 30 milliards d’euros par an en France, pour une large part au profit des plombiers, des maçons, et des PME de chaudronnerie.
Et même de l’hydrogène….
Avec des centrales solaires (par exemple les centrales à concentration, voire ci-dessus), on peut aussi envisager de produire de l’hydrogène, par thermolyse de l’eau (il s’agit alors d’une filière totalement renouvelable) ou d’un mélange vapeur d’eau+méthane (une partie de la source est alors fossile, non renouvelable, et conduit à des émissions de gaz à effet de serre, mais bien moins que lors de la production actuelle d’hydrogène à partir de méthane). Toutefois, comme les seuls lieux où ce genre d’opération pourrait se faire à grande échelle sont les déserts tropicaux, nous nous trouvons dans ce cas de figure confrontés au problème du transport de l’hydrogène sur de longues distances, qui n’est pas simple à résoudre.
En effet, l’énergie de stockage et de transport d’un gaz – par unité de volume – est à peu près la même quel que soit le gaz (la faute à M. Mariotte !), ce qui signifie en clair qu’il faut consacrer la même quantité d’énergie pour transporter et stocker 1 m³ de gaz, qu’il s’agisse de méthane ou d’hydrogène, alors que l’énergie restituée par la combustion est bien plus forte, par unité de volume, pour le méthane que pour l’hydrogène (il y a un rapport de 3 à 1 : 10 kWh/m³ pour le méthane, 3,3 kWh/m³ pour l’hydrogène).
Le rendement du stockage et du transport longue distance de l’hydrogène sera donc probablement durablement mauvais pour des raisons physiques. Par contre ce genre de dispositif de production pourrait être intéressant pour les pays à très forte insolation, qui sont quand même assez nombreux, pour produire directement des carburants de synthèse.
Et la biomasse ?
Enfin le soleil fait pousser les arbres… qui constituent donc un stock d’énergie solaire. Est-il intéressant d’en faire de l’électricité ? La production brute d’énergie de combustion par hectare est de 5 tonnes équivalent pétrole par an dans le meilleur des cas, soit 60 MWh environ (cette production correspond à la pousse annuelle, bien sûr, et non à ce qu’il serait possible d’obtenir en coupant tous les arbres d’un coup). Sachant que le rendement d’une centrale est de l’ordre de 40% à 50%, il faut donc mobiliser de l’ordre de 500 km² au sol pour faire un TWh (c’est-à-dire un milliard de kWh).
La production annuelle d’électricité en France (520 TWh) à partir de biomasse correspondrait donc à l’exploitation à cette seule fin d’une surface de l’ordre de…50 à 100% du territoire métropolitain ! Utiliser la biomasse pour faire de l’énergie électrique est donc impossible sur une grande échelle.
Par contre, le potentiel du bois est probablement réel pour les chaudières à haut rendement pour le chauffage direct des habitations. Sachant que la dépense de chauffage du logement est de 0,75 tep par Français en gros, et que le rendement d’une installation de chauffage au bois est de 60%, chauffer la France au bois demanderait l’affectation d’une surface de l’ordre de 120.000 km² (20% à 25% de l’Hexagone). Cela revient en ordre de grandeur à ne plus avoir de bois d’oeuvre, ou à se passer de viande rouge (chaque usage mobilise en gros 20% du territoire métropolitain). C’est ambitieux, mais reste réaliste si nous le souhaitons vraiment.